mercredi 31 octobre 2012

Les Âmes Grises - Philippe Claudel

Informations :

Auteur : Philippe Claudel
Éditions : Stock
285 pages
19,10 €

Quatrième de couverture :

Une jeune enfant est retrouvée morte, assassinée sur les berges engourdies par le gel d’un petit cours d’eau. Nous sommes en hiver 1917. C’est la Grande Guerre. La boucherie méthodique. On ne la voit jamais mais elle est là, comme un monstre caché. Que l’on tue des fillettes, ou que des hommes meurent par milliers, il n’est rien de plus tragiquement humain.
Qui a tué Belle de Jour ? Le procureur, solitaire et glacé, le petit Breton déserteur, ou un maraudeur de passage ?
Des années plus tard, le policier qui a mené l’enquête, raconte toutes ces vies interrompues : Belle de jour, Lysia l’institutrice, le médecin des pauvres mort de faim, le calvaire du petit Breton... Il écrit avec maladresse, peur et respect. Lui aussi a son secret.
Les âmes grises sont les personnages de ce roman, tout à la fois grands et méprisables. Des personnages d’une intensité douloureuse dans une société qui bascule, avec ses connivences de classe, ses lâchetés et ses hontes. La frontière entre le Bien et le Mal est au cœur de ce livre d’une tension dramatique qui saisit le lecteur dès les premières pages et ne faiblit jamais. Jusqu’à la dernière ligne.
 

Mon avis :

Cela faisait deux ans que Les Âmes Grises trainait dans ma bibliothèque, attendant que je m'en saisisse pour m'imprégner de son atmosphère âpre et dérangeante. Deux ans d'attente qui n'auraient pas dû être. Je ne saurais vous expliquer ce qui m'a poussé à continuer ma lecture au-delà des premières pages. Le fait est qu'il m'a été impossible de laisser ce livre de côté, d'oublier toute la douleur qui s'en dégage. N'est-ce pas par pur voyeurisme, tout comme l'automobiliste qui, voyant un accident sur le bord de la route, ne peut s'empêcher de lever le pied pour observer plus en détail ? Peut-être... Quoi qu'il en soit, les pages ont continué à défiler, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus une seule. Les Âmes Grises vous laisse alors en bouche un goût amer. Un roman à la fois beau et douloureux, dont on ne peut sortir qu'avec un sentiment de tristesse absolue.

Belle de jour. C'était ainsi qu'on la surnommait. Par sa grâce, son innocence et sa délicatesse, elle apaisait les cœurs ensanglantés des villageois de V., dont les âmes étaient alourdies par le chant quotidien des canons qui déchiquetaient la chair, non loin sur le front. Mais pour qu'elle conserve à jamais sa beauté, le destin décida de la soustraire aux regards des vivants, pour toujours.

" La mort brutale prend les belles choses, mais les garde en l'état. C'est là sa vraie grandeur. On ne peut lutter contre. "

Premier lundi de décembre 1917. Le petit corps de Belle de jour est retrouvé sans vie. Dans les cœurs des villageois, l'incompréhension règne. Quelle âme peut-elle être assez noire pour oser s'en prendre à une petite fille de 10 ans ? Lentement, l'enquête se met en place.
Mais le narrateur, dont l'identité demeure secrète jusque tard dans le roman, ne choisit pas de nous retranscrire les éléments de manière chronologique : les détails de l'enquête se mêlent à l'évocation de souvenirs plus ou moins lointains, et qui n'ont parfois qu'un rapport ténu à ladite enquête. Si cet enchevêtrement d'intrigues et la multitude de personnages qui en découle peuvent au premier abord sembler maladroits, il n'en est finalement rien : passé la moitié du livre, le lecteur comprend le génie avec lequel Philippe Claudel a tissé la trame de son histoire. Celle-ci n'en devient dès lors que plus captivante.

En quelques mots, Philippe Claudel parvient à nous dépeindre la fadeur de l'âme humaine. Au cœur de tous ces gens qui composent le récit (le procureur Destinat, le juge Mierck ou encore la jeune Lisya), le lecteur se retrouve confronté au reflet de sa propre personne.

" Rien n'est ni tout noir, ni tout blanc, c'est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c'est pareil... ".

On a beau se chercher des excuses, tenter de justifier tel comportement, tel acte, il nous faut bien admettre que cette phrase sonne avec justesse et naturel. Au fond, nous ne sommes que des âmes grises, des âmes joliment grises... Et c'est là tout le propos du livre. La guerre, ce n'est qu'un " à côté ". Un " à côté " à la fois très présent (en témoigne le chant des canons qui fauche chaque jour des vies par milliers) et très lointain...

L'écriture de ce chef-d’œuvre est à mon sens parfaite. Le style de Philippe Claudel est infiniment beau, mais d'une beauté qui ne tombe jamais dans l'excès : il ne fait que dépeindre avec force détails des réalités parfois heureuses, souvent tragiques, sans jamais les exagérer. Il parvient à nous rendre primordiale l'existence de gens ordinaires. Et ce n'est pas vous mentir que de vous dire que le suspens est présent à chaque nouvelle page. Mieux, à chaque nouvelle ligne.

Plus qu'un énième récit sur les horreurs de la première guerre mondiale, plus que l'histoire d'un épouvantable meurtre, Les Âmes Grises touche du doigt les réponses à ces questionnements qui font de nous des êtres humains. Il dépeint avec brio les sentiments qui nous étreignent sans que nous ne puissions mettre des mots dessus. Un livre tout en nuances de gris, à lire et à relire. Encore et encore.

 Les petits extraits qui font envie :

« Les salauds, les saints, j'en ai jamais vu. Rien n'est ni tout noir, ni tout blanc, c'est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c'est pareil... T'es une âme grise, joliment grise, comme nous tous. »
 
« Elle respirait avec une lenteur effroyable et ses joues étaient à peine tièdes. Son teint était celui de celles et ceux que la vie abandonne. J'ai posé mes lèvres sur les siennes, j'ai dit son nom, je l'ai hurlé, j'ai pris son visage entre mes mains, j'ai giflé ses joues, j'ai soufflé de l'air dans sa bouche. Je ne pensais même pas à l'enfant. Je ne pensais qu'à elle. J'ai essayé aussi d'ouvrir la fenêtre mais la poignée m'est restée dans la main, alors j'ai tapé du poing sur le carreau qui s'est brisé, je me suis entaillé, j'ai mêlé mon sang au sien, j'ai gueulé, gueulé à la rue, fort comme un chien, avec une colère de bête que l'on maltraite. Des portes se sont ouvertes, des fenêtres. Je suis tombé à terre. Je suis tombé. Je tombe encore. Je ne vis plus que dans cette chute. Toujours. »

« Si j'avais de belles casseroles en cuivre, je les accrocherais tout comme, et ça produirait le même effet, le sentiment que le monde n'est pas si laid, qu'il y a parfois de petites dorures, et qu'au fond, la vie, ce n'est rien d'autre que la recherche de ces miettes d'or. »

6 commentaires:

  1. Wow, j'aimerai beaucoup le lire ! Je me mets petit à petit aux romans historiques, donc je pense qu'il pourrait me plaire. Les quelques extraits que tu as mis me plaisent beaucoup, je prends note !

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    1. L'aspect historique est surtout présent dans l'atmosphère du roman, mais je pense que oui, ça pourrait te plaire ^_^ Et puis, l'écriture de Philippe Claudel est merveilleuse !

      Bises !

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  2. Je l'ai lu l'année dernière grâce à ma prof de français qui nous l'a fait découvrir et je ne peux que lui en être reconnaissance. Je me rappelle avoir été très touché par ce roman étant une grande fan de Philippe Claudel, ce roman s'est en plus révélé bouleversant et quelques larmes m'ont échappé à la fin du roman. Et pour une fois l'avoir étudié en profondeur ( Bac oblige xD) était très agréable car on a pu vraiment sur certaines parties bien sur comprendre le véritable message et profondeur du texte. Un chef d'oeuvre ! Rien que pour pouvoir le relire je retournerais l'année dernière refaire mon année de 1ère xD

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    1. C'est également ma prof de français de 3ème qui me l'avait passé ^_^ Elle en parlait avec tellement d'émotion ! Il aura fallu deux ans pour qu'enfin je le lise. Et je ne regrette pas ma lecture, bien au contraire ! Beau, touchant, vrai.

      Bises !

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  3. Oh je ne connaissais pas du tout mais du coup merci pour la découverte, maintenant je vais le garder dans un coin de ma tête. merci pour l'avis!

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    1. Ce livre est empli de beauté et de tristesse, mais il est surtout criant de vérité. Il nous pousse à réfléchir sur notre statut d'être humain, et vraiment, je ne peux que te conseiller de le lire. Ça change de ce qu'on a l'habitude de dévorer ^^ Et puis, l'écriture de Claudel est tellement belle <3

      Bises à toi Melliane !

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